Conseil de lecture

Les textes n'apparaissant pas dans l'ordre, je vous conseille de commencer par le plus ancien "Introït" (novembre 2014) et de poursuivre la lecture chronologiquement (voir les titres des articles dans "archives du blog")

vendredi 11 septembre 2015

1972 - L'Age d'or


L'Age d'or


Je vais sur mes 17 printemps et Jacques Dutronc sur ses 29 ans. Nous sommes nés le même mois. Le mois d'avril, le 28 pour Jacques qui est du signe du Taureau et le 7 avril, Bélier en ce qui me concerne. Françoise ne fait pas encore d'astrologie et ne peut donc pas encore tracer notre destin.
Le mien est loin d'être tracé. Faute de compétences affirmées, je suis entré au lycée de Digoin, en 2nde G1, parce que mes parents sont commerçants et que le secrétariat est un pis aller quand on n'est pas fort en mathématiques. Pourtant, ce sont les matières artistiques qui m'intéressent le plus. Comme je ne suis pas trop mauvais en dessin on avait envisagé une orientation dans la publicité mais c'est trop tôt, tout comme les Beaux Arts d'ailleurs. Cela fera l'objet de longs débats avec mon père qui s'inquiète de mon avenir.
Et puis je me suis entiché de mon prof de Français qui fait des cours passionnants et nous fait parfois des lectures découvertes à la fin des cours. Il nous fait découvrir Jacques Prévert en nous lisant un petit texte de théâtre tiré du recueil "Spectacles" ; pour moi c'est une révélation, un choc! Je commence à écrire des poésies et je fais du théâtre dans le club qu'anime un autre professeur.
Je demande un entretien à mon professeur de français, pour lequel j'ai une réelle admiration, convaincu qu'il saura me conseiller, et je lui annonce tout de go que je veux être poète et monter à Paris pour vivre de mon art. Mais la réponse qu'il me fait est bien loin de répondre à mes attentes : "Poète... ça n'est pas une profession, cela ne nourrit pas son homme." Bon! Merci monsieur, cela ne me fera pas aimer pour autant les cours d'économie, la gestion administrative, la sténographie... Seule la dactylographie m'est utile pour taper mes poèmes et un roman dans lequel je relate mes amours fantasmées avec Colette, une copine de ma sœur dont je suis tombé amoureux.
Le soir, au dortoir, je m'enferme dans un cagibi pour fuir les bizutages et la vulgarité des copains, mais surtout pour cultiver mon spleen car j'ai également découvert un autre mentor : Charles Baudelaire. Et je passe une grande partie de la nuit à écrire des poésies. Comme je dors peu, impossible de me tirer du lit le matin. Le surveillant a beau donner des coups de pied dans mon lit et répéter d'une voix lancinante "Guinard... debout", rien n'y fait ; il m'arrive de rester enfermé dans le dortoir. Je me persuade que je ne suis pas fait pour la vie en communauté, que je suis un rêveur solitaire... Cette idée sera tellement ancrée dans ma pauvre petite cervelle qui se fait du vague à l'âme un modus vivendi, qu'elle m'inspirera, quelques années plus tard, le moyen de me faire exempter du service militaire.
Quand je rentre à Marcigny, le week-end, je retrouve ma chambre qui est ma tour d'ivoire, mes vrais copains et des occupations bien plus en phase avec mes goûts.
A la Maison des jeunes, où je passe le plus clair de mon temps, j'ai rencontré quelques aînés qui souhaitent monter un groupe et recherchent un chanteur qui joue de la guitare. Je me propose de me joindre à eux, persuadé que mon talent suppléera à mon manque de bases solides en solfège. Il y a Martin, batteur, Sabot, organiste et Ducerf, guitare basse. On me prête une guitare électrique et... c'est la catastrophe. Je n'arrive pas à suivre une partition, je ne connais que mon propre rythme et ils ont beau faire l'impossible pour s'accorder avec moi, nous sommes loin d'avoir assez de pratique pour nous produire dans les bals. L'expérience va quand même durer quelque temps et avec le recul je salue leur patience et leur mansuétude. 
Le 29 mars, je vais à Roanne pour faire électrifier ma guitare. J'ai aussi récupéré un vieil ampli à la Maison des jeunes et je passe de longues heures à faire crier plus que chanter ma toute nouvelle guitare, la fenêtre de ma chambre grande ouverte, lorgnant de temps en temps les filles dans la rue, montant le son à fond dès qu'il s'en présente. A 17 ans, on n'a pas peur du ridicule! 
Je vais souvent à Roanne ou à Paray pour acheter du matériel électrique (Jacks, câbles) et des partitions. Je connais quelqu'un qui travaille chez un ami de mes parents qui a un magasin d'électro-ménager et qui me fait pour rien quelques réparations et branchements électriques. On y trouve aussi un bac à disques et c'est là que le 15 juin j'achète le dernier 45 tours deux titres de Jacques Dutronc. J'y découvre un Dutronc affublé d'une moustache et ça ne me plaît pas trop. Il a dû s'en rendre compte car il ne la gardera pas bien longtemps.
"Le Petit Jardin" me fait penser au jardin de mon grand-père, au Vésinet. Je ne tarderai pas à le lui faire écouter et je serai enchanté de le voir apprécier le Verlan d'un autre titre "J'avais la cervelle qui faisait des vagues" car en bon parisien il maîtrise parfaitement cette langue. Décidément, je fais un nouvel adepte de mon idole.

La Corse

 Comment pourrais-je évoquer dans tous ces souvenirs l'influence qu'a eu Jacques Dutronc sur mon adolescence sans parler de la Corse? Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître maintenant, avec le recul, je n'avais aucune idée de la vie privée de mon idole pendant toutes ces années.
Aussi, quand mes parents décidèrent de faire un voyage en Corse, au mois de juillet 1972, je ne me dis pas : "Oh ! chic ! Je vais peut-être y rencontrer Jacques Dutronc, d'autant plus que nous allions à Speloncato (Balagne) qui est pour ainsi dire à une encablure de Monticello où il réside désormais mais où il squattait à l'époque chez Françoise.
Nous logions à l'hôtel a Spelunca di u Sehju, qui était l'ancien Palais du Cardinal Savelli et était tenu à l'époque par sa seigneurie Princivalle, un homme charmant et plein d'humour. Le cuistot, qui lui aussi ne manquait pas d'humour, avait observé que nous étions toujours les premiers à table et, mon père ayant un tout petit appétit, que nous en étions aussi les premiers sortis. Un jour, après son service, il surprit mon père qui était en train de faire une toile d'après nature, sur une terrasse de l'hôtel. Il lui dit : "Monsieur croque bien mais ne mange pas beaucoup."

Quant à moi, je n'avais pas oublié d'apporter ma guitare et grâce à elle je m'étais fait des amis. Le soir, j'allais au café d'en face et je jouais la sérénade, si bien que je m'étais attiré les yeux doux d'une jeune corse et que je comptais bien pousser mon avantage en l'invitant à me faire découvrir le village. Les choses ne se passèrent pas vraiment comme je l'avais escompté. Un garçon vint me trouver et me dit : "Ma grand-mère est malade et aimerait t'entendre jouer de la guitare." Il m'invite donc à le suivre et nous grimpons les rues escarpées pour arriver sur une sorte d'éperon rocheux où m'attendaient quatre ou cinq Corse qui avaient tout des bandits du même nom. Ils n'avaient certes pas le fusil en bandoulière mais leurs mines inquiétantes ne me dirent rien de bon. Mon guide me dit alors : "Tu joues très bien l'aubade mais tu as eu le tort de la faire à ma petite sœur!" Je n'en menais pas large.
Un bandit corse ?
J'étais au bord de la falaise avec pour seul arme ma guitare et je n'avais pas du tout envie de la sacrifier dans une échauffourée dont je ne sortirais certainement pas vainqueur. Je balbutiai quelques mots d'excuses et il ajouta : "Tu sais quel âge elle a, ma sœur?" Je ne le savais pas. "Treize ans! alors t'as pas intérêt à continuer ton manège..." Je lui promis tout ce qu'il voulut et nous repartîmes bons copains. Les Corse ont le sang chaud mais sont finalement de bons bougres pourvu que l'on ne vienne pas piétiner leurs plates bandes. 
D'ailleurs, si je ne savais pas que Jacques Dutronc était probablement si près de moi en ce bon mois de juillet, ce ne pouvait pas être lui, par conséquent, qui motivait mon intérêt sur l'île de beauté. Mes parents connaissaient un résident qui avait travaillé à la banque de Marcigny pendant quelque temps et j'étais alors tombé amoureux de sa fille, Catherine, sans avoir jamais osé lui déclaré ma flamme. Je me contentais, les soirs d'hiver, d'aller sous sa fenêtre où je la voyais de temps en temps apparaître. Et, dès que sa lumière s'éteignait, je retournais vite dans ma chambre pour lui écrire des poèmes dont elle ne connut jamais l'existence.
Mes parents rendirent visite à leurs amis qui vivaient maintenant à quelques kilomètres de Speloncato dans une villa somptueuse ; elle et moi allâmes alors parmi les chemins pour une promenade romantique durant laquelle je lui avouai tout l'amour que je lui avais voué. "Et tu ne m'as rien dit? me questionna-t-elle. Je t'aimais bien, tu sais... enfin... si j'avais su..." Mais c'était la veille de notre départ et malgré les accords doux de ma guitare, je n'eus d'aventure ni avec Catherine ni avec aucune fille corse. Je fus seulement soulagé de m'en tirer à si bon compte avec le frère.
Enfin, pour terminer cette histoire corse, je relaterai seulement ce jour où nous allâmes avec M. Princivalle chez un de ses amis qui exploitait le verger de notre hôte. Nous en dégustâmes quelques unes de ses merveilleuses pêches, grosses comme des melons et si savoureuses, si fermes et goûteuses que jamais je n'en retrouvai de pareilles. Nous en achetâmes quelques cagettes et quand le vieil homme les déposa dans le coffre de notre voiture, distrait sans doute par mes récentes aventures galantes, je lui coinçai la main en refermant le haillon de la malle. 
Merveilleux souvenirs... les plages d'Ile Rousse où nous allions nous baigner, les terrasses de café de Calvi où nous faisions la conversation avec un légionnaire complètement bourré qui ne cessait de ponctuer ses phrases en répétant "Léger, léger...". Les îles Sanguinaires, le golfe de Porto, le Monte Cinto... Nous en revînmes éblouis et, si j'avais su mon idole si proche, rien ne nous aurait arrêté pour lui rendre une petite visite...
Mais je devais attendre encore bien des années avant de revoir Jacques Dutronc pour lequel je restai et resterai un admirateur inconnu parmi tant d'autres.















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